Par Jean-Cédric Jacmart – Formateur en permaculture - Designer chez Canopy-Design – Fondateur de la ferme de Desnié - Avril 2023.
Est-il trop tard ? Voici la question adressée de manière récurrente par certains de nos stagiaires dans le cadre de nos formations de design en permaculture. Les clients de notre bureau de conception de paysages nourriciers nous interpellent également à ce sujet. Voyez plutôt… Epuisement des ressources, effondrement de la biodiversité végétale et animale, déforestation massive, acidification des océans, appauvrissement des sols, sécheresses et épuisement des nappes phréatiques, fonte des glaces, dégel du permafrost, montée des eaux, inégalités sociales, enjeux démographiques, pollution globale, carences d’éthique politique et industrielle… Devant l’ampleur des enjeux, il y a de quoi se poser cette question de manière légitime.

Cette interrogation questionne le peu de temps qu’il nous reste pour créer des projets et des lieux de vie autonomes et résilients. Tant sur le point de vue alimentaire que de celui de l’énergie et de l’entraide. En creusant davantage le sujet, la question ne serait-elle pas plus profonde encore ?
Nombreuses sont les personnes qui rêvent de bifurquer vers davantage de sens, d’éthique et qui souhaitent vivre dans un environnement qui correspond à leurs désirs. La véritable question ne serait-elle pas plutôt « avons-nous encore le temps de réaliser nos rêves ou un projet qui nous tient à cœur » ? Elle résonne avec l’angoisse de manquer de temps et de moyens matériels pour y arriver face à l’avalanche des mauvaises nouvelles mentionnées ci-dessus. Et c’est bien connu, les mauvaises nouvelles ne sont pas nécessairement porteuses d’espoir et d’énergie positive. Par conséquent, est-il vraiment trop tard ?
La réponse est singulière. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, n’est-ce pas ?
Il s’agit plutôt d’une posture, du regard que nous portons en général sur la vie.
L’humanité serait-elle donc face à deux choix distincts ?
Le choix de l’attentisme. Attendons de voir ce qui va se passer. Les choses s’arrangeront par elles-mêmes ou quelqu’un prendra une décision pour notre bien-être. Hélas, l’histoire nous démontre que le statu quo n’apporte rien de bon aux peuples. Bien du contraire, lorsque nos destins échappent à nos volontés, il créent les conditions du conflit et les pires tragédies humaines. Et bien souvent, le regret d’être passé à côté de nos vies.
Ou le deuxième choix, inspiré du Vivant, celle qui comme la nature, avance inexorablement et ne recule devant rien. Rien « n’est trop tard », car de toute façon, la vie est impermanente.
C’est celui du choix qui met en mouvement, qui propose des solutions à petites échelles, et qui crée les conditions des petits et grands miracles de la vie.
Et si nous remplacions « Est-il trop tard » par « Que voulons-nous faire » ou « Quels sont nos rêves et nos projets » ? Même s’ils semblent utopiques et irréalisables, surtout au regard des autres, il devient impératif de les réaliser. Notre civilisation thermo-industrielle va progressivement s’éteindre. N’avons-nous pas une incroyable opportunité de construire une nouvelle société ?
C’est ce deuxième choix qui est à la base de la création de la ferme de Desnié. Un rêve fou. Celui de vivre dans la nature la plus sauvage possible tout en sensibilisant les personnes aux pistes et aux solutions en réponse à un monde en déclin. Le tout, au travers d’une boîte à outils prodigieuse que sont les principes éthiques et de conception de la permaculture. Le menu proposé est alléchant, voyez plutôt : agroforesterie, gestion de l’eau, climats, habitat, élevage, vie sauvage, production végétale, analyse et restauration du sol, outils low tech, création d’un jardin fertile, conception d’une micro ferme diversifiée, établissement du dessin d’un écosystème, production de biomasse, création de niche écologiques, gouvernance partagée, traction animale, forets nourricières, et bien d’autres sujets passionnants.
Bref, une boîte à outils qui ouvre le champ de tous les possibles à la portée de n’importe quelle personne en quête d’un idéal de vie.
Il y a donc une dizaine d’année, je m’étais posé la question « Est-il trop tard ? » pour lancer mon projet d’installation d’une micro ferme ?
Le fait de poser cette question m’avait donné un frisson d’angoisse. Ce moment passé, j’ai pris la décision de changer de « fréquence » car j’avais réalisé que la réponse était de toute façon vaine. La piste d’une action dirigée par mes désirs et mon besoin de contribution fut le meilleur choix. La découverte de la méthodologie proposée par la permaculture, et quelques belles rencontres, m’ont permis de créer un projet sans devoir attendre d’acquérir toutes les compétences et les moyens financiers pour le lancer. Comme c’est le cas pour les centaines de nos stagiaires qui ont transformés leurs jardins, propriétés, entreprises, résidences secondaires, habitats et jardins partagés, projets sociaux… et qui ont bifurqué vers des projets en phase avec leurs valeurs. Sans compter les quelques stagiaires qui sont devenus des designers professionnels… en permaculture !
Vous avez choisi « qu’il n’est jamais trop tard » et vous souhaitez agir ?
Quittez les médias qui n’apportent que des nouvelles stériles et négatives.
Branchez-vous sur les médias (surtout sur Internet ) et les publications qui parlent de projets positifs.
Connectez-vous à vos rêves quotidiennement.
Instruisez-vous et soyez curieux de tout, tous les jours.
Sortez de votre «bocal » et faites des stages qui vous enrichissent en savoir-être (CNV, Yoga, gouvernance, travail qui relie, constellation familiale…) ou en savoir-faire (éco construction, chantiers participatifs, WWOOFing, design en permaculture, plantes sauvages et herboristerie, fauchage à la faux, petit élevage, plantation et taille d’arbres fruitiers…).
Prenez du temps pour explorer la nature et passez du temps qualitatif avec des personnes positives.
Allez à la rencontre de celles et ceux qui entreprennent des projets qui se rapprochent de vos rêves. Questionnez-les sur leurs parcours, leurs échecs et leurs réussites.
Entourez-vous de personnes qui vous soutiennent et qui croient en vous.
Lancez-vous. Vous ne pouvez pas échouer car vous êtes là pour apprendre.
La ferme de Desnié en 2014.
Une ferme à l’abandon, sans animaux, avec essentiellement des prairies humides.

La ferme de Desnié depuis 2015.
Un design complet sur 9 hectares, une aggradation paysagère notable, une interaction dynamique avec le village et la région, un lieu vivant et vibrant avec ses nombreux animaux de ferme, le retour de nombreuses espèces d’animaux sauvages, une contribution économique et sociale locale, plus de 5500 arbres plantés, un retour d’expérience inestimable et des rencontres merveilleuses. Et surtout, plus de 1000 personnes qui sont venues découvrir les techniques de conception et d’aménagement de lieux de vie autonomes, résilients et solidaires… et qui pour un certain nombre, ont littéralement changé de cap pour une vie riche de sens.

A propos de l'auteur :

Jean-Cédric Jacmart est la personne source de la ferme de Desnié et de la coopérative Le Petit Monde de Desnié. Passionné par l’éthique et les outils offerts par le mouvement de la permaculture depuis 2013, il est animé par le questionnement de l’empreinte écologique et des dégâts infligés à l’environnement par les activités humaines. Il a suivi plusieurs cours certifiés de Design en permaculture (PDC/CCP), notamment à la ferme du Bec Hellouin en Normandie, au Viel Odon en Ardèche et en Jordanie dans la cadre de l’opération « Greening the desert » avec Geoff Lawton.
Formateur, auteur et designer, il est le co-fondateur des bureaux de design en permaculture Padia et Canopy Design, qui conçoivent des projets de fermes et de lieux productifs, résilients, soutenables et solidaires en Belgique, Luxembourg, France, Espagne, Maroc, …
Le Petit Monde de Desnié est une école et une microferme laboratoire de référence en permaculture. Nous enseignons la science et l’art de créer des lieux de vie harmonieux, productifs, autonomes et solidaires. www.desniepermaculture.com
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